Dépister, au travail

Pour que nous puissions continuer à répondre à nos besoins essentiels, nombre de femmes et d’hommes ont continué à se rendre au travail pendant le confinement. Mais comme rien n’a été fait pour définir les activités immédiatement indispensables, et le nombre de celles et ceux qui ont été amenés à s’exposer au virus a donc excédé les nécessités. Pour les uns comme pour les autres, une stratégie préventive stricte s’imposait.

Dès le départ, les travailleuses et travailleurs concernés ont eux-mêmes demandé des mesures sanitaires adaptées et du matériel de protection qui fait toujours défaut aujourd’hui. Des procédures de danger grave et imminent ont été déclenchées et des droits de retrait se sont exercés sous la réprobation gouvernementale. 

Chaque jour qui passe, nous payons plus cher le refus d’organiser le recours systématique aux tests.C’est notamment le cas pour celles et ceux qui poursuivent leur activité, que ce soit dans le soin ou l’accompagnement, mais aussi dans les secteurs du nettoyage, de la logistique, de la grande distribution, des chantiers du BTP, des forces de l’ordre... 

« Nos soignants paient un lourd tribut pour sauver des vies, a déclaré le ministre de la Santé. Tous les soignants malades seront reconnus au titre des maladies professionnelles, sans exception ». Ce matin, le ministre de l’Intérieur a avancé la même idée pour les forces de l’ordre. On ne comprendrait pas qu’il en soit autrement, y compris pour les caissières des supermarchés, pour les chauffeurs de bus, les ouvriers des usines, les dockers... Et la réparation intégrale devra alors être de droit selon une procédure simplifiée de reconnaissance de ce qui relève en réalité de l’accident du travail. Selon la définition du code de la Sécurité sociale : “Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise ». Le gouvernement a sans doute vu l’ordonnance du juge des référés de Lille, rendue le 3 avril 2020, mettant sous astreinte financière une association d’aide à la personne pour manquement à l’obligation de sécurité et de prévention contre le risque d’exposition de ses salariés au COVID-19. 

C’est dans le cadre de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale que devra s’effectuer la prise en charge des victimes professionnelles du COVID-19 lorsqu’ils ont poursuivi une activité, la responsabilité de l’employeur étant à l’évidence engagée, dans le cadre de politiques publiques dont il faudra rapidement évaluer la pertinence. Il ne fait aucun doute que c’est sur leur lieu de travail que les salariés encourent le plus de risque d’être en contact avec le virus, de le transmettre sans le savoir, avant même de tomber malade, d’être hospitalisés ou même de trouver la mort.

Comment justifier que le COVID-19 ne soit pas classé au rang des risques graves et mortels, impliquant une surveillance médicale renforcée telle que définie dans le code du travail, la pratique systématique de tests de dépistage étant alors décisive pour  permettre aux personnes de savoir si elles sont contaminées et d’interrompre la propagation du virus. La chercheuse Annie Thébaud-Mony, avec qui j’ai pu avoir un échange très instructif aujourd’hui, a raison de dire que le fait de ne pas recourir aux tests de dépistage « constitue aussi une stratégie d'effacement des traces, puisque rien n'est recensé et, comme chacun sait, les morts ne parlent pas de ce qui les a tué ».
 
Le recours aux tests de dépistage est l’outil de référence de la prévention collective, préconisée de façon répétée par l’OMS depuis le début de l’épidémie. Et c’est de cela dont nous avons besoin pour pouvoir combattre le virus et organiser la sortie du confinement. Certains font la promotion du traçage numérique. Cela pose inévitablement des questions de respect des libertés publiques et individuelles, et il faut toujours réfléchir à deux fois avant de franchir des barrières éthiques, avec l’impact que cela peut avoir sur les rapports sociaux. Mais, sous réserve de précautions, dans un cadre librement consenti, et pour peu qu’on ne crée pas de nouvelles inégalités, ne pourrait-on pas avoir envie, cependant, de faire confiance aux nouvelles technologies, s’il y avait un bénéfice sanitaire ? Interrogeons-nous : à quelle question, à quel problème est censé répondre le traçage ? Sans dépistage massif, est-il vraiment opérant, et avec, ne devient-il pas rapidement inutile ? Il faut donc réfléchir en ayant à l’esprit qu’il n’y a pas de magie, d’autant que le système vous prévient après coup que vous avez été en contact avec le virus : on continue de lui courir derrière.

C’est pourquoi il faut créer au plus vite les conditions du dépistage massif, en commençant par les populations les plus à risque, celles qui travaillent sans pratiquer le télétravail et celles qui vivent dans les lieux collectifs. J’ai posé directement la question à la ministre de la justice pour les prisons, (lire la question écrite), hier, puis au ministre de l’intérieur pour les agents de la force publique aujourd’hui, dans les auditions de la mission d’information de l’Assemblée nationale sans obtenir de réponse. Je viens de les poser à la ministre du travail dans un courrier. 

Les questions immédiates, on le voit bien, nous ramènent à des enjeux généraux et celui du travail n’est pas le moindre. A quel prix travaillons-nous ? La proposition de loi que je prépare pour la santé au travail continue de se préciser. Tout en agissant face à l’urgence, il faut continuer à préparer la suite. C’est ce que je propose aussi à travers l’inventaire des biens communs, dont l’écho grandit. (on en parlait aujourd’hui dans La Provence à côté de mes écarts musicaux…). Car pour chacune et chacun, il en va ainsi, nous sommes à la fois occupés par le jour présent et préoccupés par les jours d’après, qui ne viendront pas d’un coup et qui ne viendront pas tout seuls...