Perplexe

Perplexe. Pour le moins perplexe. L’audition conduite par la mission d’information hier soir du Président du Conseil scientifique, le professeur Delfraissy et de la directrice générale de Santé publique France, la professeure Chêne, m’a laissé perplexe. Nous avons pu entrevoir que nous allions devoir cohabiter pendant un certain temps avec le virus, mais nombre de questions sont restées sans réponse. On peut comprendre que l’épidémie demeure par certains aspects encore imprévisible et mystérieuse. Mais si c’est aussi le cas de notre stratégie, c’est que nous n’en avons pas.

Quelle stratégie de dépistage mettons-nous en oeuvre pour préparer et accompagner le déconfinement ? De quels moyens devons-nous nous doter pour le rendre possible ? Notre agence de santé publique doit apporter des réponses à ces questions. Et si ce sont bien des choix politiques qui ont conduit à abandonner le stockage de masques, elle avait un rôle décisif à jouer une fois le risque identifié. Santé publique France résulte du regroupement de différentes agences, pour opérer une simplification administrative et supprimer des organismes n’ayant pas une certaine taille critique. Et ce que racontent celles et ceux qui en sont la force vive, c’est la diminution des moyens et l’abandon silencieux d’un certain nombre de missions. A l’automne dernier, il a été décidé de transférer son financement à la sécurité sociale, sans qu’on en dise réellement la raison. L’Etat a une responsabilité en matière de santé publique, ce que nous sommes en train de vivre nous le rappelle, même si on peut imaginer que la sécurité sociale joue un rôle en matière de prévention. Mais la sécurité sociale, de plus en plus étatisée, soumise à une logique de compression des dépenses de santé, quelle place laissera-t-elle à la prévention ? Nous avons besoin d’outils de santé publique qui soient à la hauteur des enjeux. Et la décision publique doit être éclairée par une expertise publique forte. En l’occurrence, on ne peut pas déconfiner sans avoir un plan. C’est une question incontournable que je m’emploierai à poser sur tous les tons (lire mes questions). Nous n’avons que des bribes improvisées qui forment un tout incohérent. 

L’impression demeure qu’on a aussi confiné sans véritable plan. Nombre de salariés continuent à le dire et le jugement qui fait pleurnicher Amazon en est le témoignage. Suite à une plaine du syndicat SUD, le tribunal a considéré que l’entreprise avait « de façon évidente méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés ». Ce n’est pas rien, quand même ! La plateforme s’est donc vu intimer l’ordre de ne prendre que les "commandes de produits alimentaires, d'hygiène et médicaux" et d’une évaluation des risques professionnels avec les représentants des salariés. Frédéric Duval, le directeur de l’entreprise se déclare perplexe (nous sommes donc au moins deux dans cet état, mais sans doute pas pour les mêmes raisons), annonce faire appel, ferme les entrepôts pour cinq jours et affirme qu’il continuera de donner accès aux produits « sans restriction de catégorie » grâce à son réseau mondial et aux entreprises indépendantes... Pendant ce temps, il est exigé des petits commerçants, et ils le comprennent, de baisser le rideau (je suis d’ailleurs intervenu encore aujourd’hui pour que leur situation soit mieux prise en compte). Le gouvernement lui-même a depuis le début fait le choix assumé de l’ambiguïté et du double langage, en essayant de préserver la continuité et le plus haut niveau d’activité. Nous apprenons par plusieurs organisations syndicales que les inspecteurs du travail seraient dissuadés de se rendre sur les lieux de travail, que les contrôles inopinés seraient interdits sauf autorisation expresse de la hiérarchie. D’ailleurs, c’est le Figaro qui rapporte que dans le Nord, « une inspectrice du travail a été dissuadée d'exercer un référé » à l'encontre d'une association d'aide à domicile. On se rappelle de l’ordonnance sévère du tribunal, qui lui a donné raison alors que sa hiérarchie serait allée jusqu'à intervenir directement auprès de lui. Et Anthony Smith, représentant CGT au Conseil national des Inspecteurs du travail a été mis à pied pour un cas similaire dans la Marne. Les organisations syndicales ont donc saisi l’Organisation internationale du travail sur la base de la convention 81 qui affirme l’indépendance des agents de l'inspection du travail. Voici quelques jours, j’interrogeais la ministre précisément sur la façon dont elle allait s’occuper de la santé de celles et ceux qui travaillent dans cette période singulière où le sujet n’est pas moins aigu, et je comprends mieux pourquoi je n’ai pas de réponse (lire le courrier). Et il n’y a qu’un pas de la perplexité à la colère. On ne peut pas se réfugier derrière le respect de la santé des inspecteurs (qui doivent être protégés) pour ne pas faire respecter la santé de tous les autres travailleurs et travailleuses. La puissance publique doit contrôler le respect du droit. Et pas seulement les attestations de déplacement dérogatoire. 

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