Ordonnances Covid :"Un texte cafoutche !"

Diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'UE

Discussion générale - 1ère séance - Jeudi 14 mai 2020

Le gouvernement a présenté à l'Assemblée nationale son projet de loi "portant diverses dispositions urgentes pour faire face à l’épidémie de covid-19", un texte fourre-tout et plein de coups fourrés ! Renommé en dernière minute suite à la remarque du Conseil d'Etat : "Diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'UE". Le gouvernement s'octroie ainsi le droit de légiférer à la place du parlement, qui pendant 6 mois, qui pendant 12 mois, et même 30 mois ! 

Mon intervention pendant la discussion générale :

C’est à quel sujet ? Telle est la question que nous avons envie de vous poser. Nous examinons un projet de loi « relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne »… et plusieurs ratons laveurs, serais-je tenté d’ajouter, pour emboîter le pas à Jacques Prévert.

Cependant, à bien y regarder, il n’y a là rien de très poétique. Il s’agit d’un projet de loi sans sujet, mais non sans cavalier. La cavalerie tout entière y a été convoquée, dans le désordre, et il a pour but de confier au Gouvernement le soin de légiférer à la place du Parlement, qui pendant six mois, qui pendant douze mois, qui pendant trente mois, bien au-delà de l’état d’urgence sanitaire.

Vous en avez changé le titre, car le Conseil d’État vous a fait observer que toutes les mesures n’étaient pas justifiées par l’urgence. Votre notion de l’urgence nous ébaubit ! Il est des cas où il faudrait vraiment agir vite, mais où cela ne vous est pas venu à l’esprit. Sans revenir sur des épisodes récents et encore en cours, on pourrait parler, par exemple, de l’interdiction des licenciements, du versement de certaines aides, qui a tardé, ou de la création d’un service public du médicament, à l’heure où l’on voit Sanofi jouer à Bonanza ou au Monopoly.

J’ajoute que vous nous avez fait délibérer hier, dans les présentes conditions de démocratie restreinte, d’un texte ne relevant pas de l’urgence et problématique pour les libertés. Or, pour ces questions prétendument urgentes, vous n’avez pas de temps à nous accorder pour délibérer, il vous faut des ordonnances.
Les ordonnances sont, dites-vous, tout à fait démocratiques, puisqu’elles sont prévues dans la Constitution. Toutefois, les ordonnances sont une dérogation, tandis que, chez vous, elles relèvent du trouble obsessionnel compulsif. Nous avons été élus pour faire la loi, non pour vous regarder la faire, et nous voulons accomplir notre mission.

 

Ce n’est pas par des logiques d’obéissance, parfois de surveillance, que nous allons nous en sortir. C’est exactement l’inverse : c’est la délibération et la démocratie qui nous rendent plus forts. Or les pouvoirs que vous nous demandez sont exorbitants.

 

De quoi est-il question dans ce texte, qui consiste en réalité en une succession de têtes de chapitre assez floues ?
Il comporte, il faut le dire, du nécessaire, des mesures sur lesquelles nous pourrions nous entendre, rapidement. Ainsi de la non-comptabilisation des périodes d’interruption entre deux CDD pour la CDIsation dans la fonction publique, de la prolongation des titres de séjour ou de la constitution de droits à la retraite sous le régime de l’activité partielle, même si vous vous en tenez au régime de base alors qu’il faudrait intégrer les régimes complémentaires – il y a donc besoin, vous le voyez, d’un travail parlementaire.

Mais il y a aussi, dans ce texte fourre-tout – cafoutche, comme on dit chez moi –, bien des coups fourrés. Vous recourez aux ordonnances avec gourmandise, au-delà de l’urgence, au-delà du nécessaire, au-delà du raisonnable. Vous abusez, vous ne démontrez pas la nécessité de tout ce que vous avancez.
Vous voulez être autorisés à limiter, en catimini, l’indemnisation des victimes des essais nucléaires, parce que vous contestez l’application, faite par le Conseil d’État, de votre mauvais coup. Quel rapport avec l’urgence ?

Vous voulez en profiter pour étendre votre réforme de la justice, qui a été tant décriée.Vous voulez déterminer seuls certaines conditions du Brexit.

Vous voulez prendre de l’argent dans des fonds dédiés aux retraites pour financer la crise. Après nos débats de cet hiver, cela mériterait tout de même quelques délibérations !

Vous voulez reverser dans un fond des sommes issues des titres restaurant, qui appartiennent aux comités sociaux et économiques. Or la façon dont nous soutenons le secteur de la restauration mérite un vrai débat.

Vous voulez de nouveau retoucher le code du travail, après l’avoir désossé par ordonnances, dès votre arrivée au pouvoir. Comment voulez-vous que nous vous fassions confiance ? D’autant que vous entendez vous exonérer des consultations nécessaires.

 

Bref, vous voulez gouverner seuls. Vous voulez nous maintenir toutes et tous, ici et bien au-delà, au rang de spectateurs des conférences gesticulées du Président de la République et de ses dîners en tête-à-tête avec le Premier ministre.

 

Or, dans le moment où nous sommes, les décisions qui sont prises donnent des impulsions et des inflexions pour la suite. Nous constatons que vous n’avez pas changé de matrice. De tout cela, il faut débattre. Vous avez modifié le titre, alors que le problème, c’est le texte. Nous appelons à un tout autre inventaire.

 

 

L'intervention en vidéo  


 
 

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