Principes de la République. Un texte inefficace, irrecevable, manoeuvrier !

Projet de loi visant à conforter les principes de la République - Intervention générale - Mardi 2 février 2021

Par où commencer ? C’est la question que vous avez dû vous poser vous-mêmes et ça se voit. Et vous auriez dû commencer tout simplement par formuler la question à laquelle vous voulez répondre et par établir clairement un diagnostic. Ainsi, ce n’est pas pour rien que vous avez éprouvé tant de difficultés à trouver un titre à ce projet de loi, à nommer son objet. Pour faire bonne mesure, vous avez donc choisi l’euphémisme : un projet de loi pour le respect des principes républicains. Mettre en oeuvre les principes de la République, c’est finalement l’objet de tout projet de loi qui se respecte. 

Le conseil d’Etat a d’ailleurs dû vous appeler à un peu plus d’humilité dans l’affichage. En effet, ce que vous dites, ce que vous ne dites pas plus exactement, c'est de quelle République parlons-nous ?

Votre texte affichait cependant la vertu d'être un acte visant à nous ressouder autour du bien commun qu’est la République. Mais vous aurez remarqué qu’il se trouve bien peu d’acteurs de la vie sociale et institutionnelle qui lui rendent grâce : il ne suscite aucun enthousiasme dans la société et vous reconnaissez vous même à haute voix vous trouver “bien seuls”.
 
Pourquoi un accueil si frais ? Est-ce parce que vous seriez les Chevalier Bayard de la laïcité ? C’est peu probable. Attention au syndrome de celui qui roule à contresens sur l’autoroute.

J'ai entendu beaucoup de gargarismes sur l'idée d'un "grand texte historique", "digne de l'oeuvre de 1905", vous plaçant sur l"a voie médiane", et j'en passe. On a le droit de rêver sur la pointe des pieds mais vous entrez-là dans l'oeuvre de voeu pieux. D'autant que par certains aspects, vous vous retournez plus vers Émile Combes que vers Aristide Briant, qvec quelques accents sarkozystes concordataires qui relèvent d'une conception assez singulière.

Quelles leçons tirons-nous de la façon dont a été menée la bataille ces 20 dernières années ?

Il y aurait beaucoup à dire sur les présuposés que vous déclinez avec beaucoup d'aplomb et un peu de simplisme. Au coeur de votre argumentaire, il y a cette question réthorique autour de la prééminence des lois de la République sur les prescriptions religieuses. Ce n'est pas de même nature et c'est cette conscience qu'il faut faire grandir. Bien sûr que seule la loi de la République régit la vie en société car elle procède de la souveraineté populaire. Et pourant, elle ne dit pas tout de l'existence de chacune et de chacun. Vous ne devriez pas reprendre les termes de cette question sans les discuter. C'est ajouter de la confusion, c'est prendre le risque de se tromper sur la religion, sur la République et donc sur la laïcité et la nature des problèmes dans lesquels elle est si souvent convoquée à tort et à travers.

André Chassaigne citait ce poème d'Aragon, "Celui qui coryait au ciel, celui qui n'y croyait pas, tous deux adoraient la belle prisonnière des soldats". La belle, la République française, c'est une ode à l'alliance, à la défense de ce qui nous est commun.

Ce projet n'y répond pas. Il appelle principalement trois critiques : inefficace quant à ses objectifs, irrecevable du point de vue du droit et soupçonnable d'être manoeuvrier.

Manoeuvrier, tout d’abord. Car si parmi les questions convoquées certaines sont graves et douloureuses, nous savons combien la laïcité est instrumentalisée depuis plus de vingt ans dans le débat public. Certains s’en servent pour diviser les milieux ouvriers et populaires alors qu’elle est faite pour rassembler, certains la réduisent à une liste d’interdits alors qu’elle est une grammaire vivante, certains l’utilisent même pour justifier une forme de racisme auquel ils croient pouvoir donner ainsi une apparence républicaine.

Vous avez voulu ouvrir la boîte de Pandore et déjà, on a vu qu’il y avait un appel d’air et que le concours Lépine de la proposition la plus détestable et l plus polémique avait été lancé. Mais n’était-ce pas le but ?

Nous devrons donc figurer dans cette mauvaise pièce, dans les jours qui viennent, dans laquelle nos compatriotes de confession musulmane se voient de fait, plus ou moins insidieusement, placés au banc des accusés. C'est ainsi que nombre d'entre eux le vivent comme j'ai pu le constater dans ma circonscription et la méthode du patchwork qui a présidé à l’écriture de votre projet de loi y contribue en venant amalgamer dans un même ensemble, des pratiques et des sujets tous rangés au rang du danger intégriste. Et il est à craindre, que vous le vouliez ou non, que tout cela vienne légitimer des discriminations et alimenter l’affrontement identitaire qui fait tant de dégâts dans les esprits, que tout cela vient apporter du carburant à des ennemis de la République et de l’humanité. Nul ne méconnaît les dangers de « l'absolutisme religieux », pour reprende la formule d'Aristide Briant. Les entreprises intégristes, sectaires, terroristes avec ses actes monstrueux, les tentatives d'emprise, les mécanismes de soumission, les atteintes à la dignité des femmes, les relents de fascisme contemporains qui sont à l'oeuvre dans le monde, nul ne peut ignorer ce climat, cette ambiance propices à des pulsions de peur, de repli, de ressentiment, la violence des rapports sociaux, la quête de bouc émissaire, de racisme. Non, le national populisme qui instrumentalise la laïcité, n'est pas l'anti-thèse de l'intégrisme qui instrumentalise la religion, ce sont les deux faces d'une même médaille. Ces réalités, celles d'une société fracturée, fractionnée, divisée, appellent plus que jamais au respect de la dignité humaine et à un nouvel élan pour une République aujourd'hui en proie à une crise dont la solution n'est pas dans des actes d'autorité.

Irrecevable, ensuite. Car dans ce texte, il est essentiellement question d’ordre public, à quoi ni la laïcité, ni la République ne sauraient être résumées. Après la loi sécurité globale, après le recours répété à l’état d’urgence, vous êtes encore enfermés dans votre matrice autoritaire, dans votre conception d’une société bien ordonnée, bien rangée, bien quadrillée, où l’on durcit toujours plus les peines en vain, où l’on accroît les moyens de la surveillance, où l’on remplace la liberté par l’autorisation, où l'on pratique l'ingérence.

Les problèmes auxquels le projet prétend s’affronter ne peuvent pas se résoudre simplement avec des mesures d’ordre public, des mesures qui viennent toucher à des droits fondamentaux comme la liberté d’association, installant avec ce pseudo contratn un principe de soupçon préalable et généralisé. Et encore, s’il en reste la charpente, le Conseil d’Etat a réfréné vos ardeurs, et vous avez dû rebrousser chemin sur un certain nombre de questions, notamment quand le recours à l’interdit et l’arbitraire se faisait trop pressant. Au fond, la question posée est la suivante : est-ce en reniant ou en rognant nous-mêmes ce qui fait le socle de la République que nous parviendrons à réduire les offensives des adversaires de la civilisation humaine à néant ? A un moment, cette attitude ne revient-elle pas à leur donner force en leur concédant une forme de résultat sur lequel ils jouent comme un levier ? 

Inefficace enfin, car en fin de compte, ce texte permettra-t-il de conforter le respect des principes républicains et de faire face aux intégrismes ? Reste à savoir par quels canaux ils passent pour gagner du terrain et votre diagnostic apparaît souvent fragile.

Cela étant, si l'on mesure les dangers en droit d'un certain nombre de mesures quelle sera leur portée réelle dans la lutte nécessaire contre les intégrismes ? Ne s’agit-il pas finalement pour l’essentiel de mesures d’affichage ? En effet, par-delà les critiques sur l’esprit de la loi, certaines appellent d’autant moins d’opposition qu’elles semblent ne pas changer grand-chose. Et il faut dire que certaines apportent une garantie utile à la mise en actes de la République et à sa protection. Je pense notamment à celles qui renforcent la protection des agents de la fonction publique, à celles qui visent à mieux contrôler les écoles hors-contrat ou encore à celles qui visent à assurer la transparence des flux financiers. 

Face à la gravité des menaces et des drames, nous avons besoin d’une société pleinement mobilisée contre les intégrismes et les terrorismes, sans naïveté ni renoncements, avec une puissance publique agissante et réactive, disposant des moyens nécessaires. Car oui, il faut être farouche pour la République. Il faut, bien sûr, utiliser les moyens juridiques dans le respect des libertés communes pour empêcher les ligues factieuses de s'organiser mais il faut inlassablement lever la voix contre eux, partout.

Il faut donc une réaction populaire, citoyenne, politique, sociale, culturelle. Il faut que partout où ils s'insinuent, ils trouvent à qui répondre et que celles et ceux qui s'y emploient, sachent qu'ils ne sont pas seuls. Cela se joue sur le terrain, là où la misère est instrumentalisée avec le mal-vivre, l'exploitation, le mépris, là où ces mouvements trouvent leur financement, là où ils essayent d'installer leur terreur et ils font ployer les esprits. Nous devons appeler donc à une grande réaction citoyenne. C'est là que pourra prendre force le principe de laïcité, principe moteur de la République en cela qu'il protège et promeut la liberté de conscience, l’égalité des droits et la volonté fraternelle.

Oui, il faut la défendre contre ceux qui veulent l’asservissement des esprits, l’inégalité des personnes devant la loi et la violence des rapports humains. Oui, il faut combattre au quotidien ces intégrismes, ces mouvements politiques qui entendent asseoir leur domination et imposer leur vision du monde, en se gardant de ne pas les voir là où ils sont comme de les voir là où ils ne sont pas. Oui il faut démanteler les mécanismes du choc des civilisations. Oui, il faut une République en actes. Et cela ne peut exister sans un combat déterminé et unitaire contre les discriminations et pour l'égalité. Cette exigence politique porte en elle la possibilité de la créolisation, la possibilité de la rencontre, la possibilité d’une émancipation partagée. La question, c'est celle de la crise de sens, de civilisation, d'un nouveau projet républicain, de nouveaux horizons, de nouveaux rêves communs.

Il s’agit donc de produire un effort anthropologique, donc culturel et donc politique, pour sortir de l’ornière de l’affrontement identitaire. Rassembler, rencontrer, partager entrechoquer nos imaginaires et nos visions du monde, faire du commun. C’est difficile dans un monde marqué par cet affontement-là et par la domination du capitalisme qui se fonde sur les inégalités.

Il est possible de faire reculer les intégrismes, si nous sortons de cet enfermement et de ces crispations, si la République est là, si elle rend les services qu’on est en droit d’attendre d’elle, si elle accompagne celles et ceux qui sont fragilisés, si elle garantit les libertés, si elle appaise le peurs au lieu d'en jouer, si elle propose un horizon. Il est possible de construire cette République, d'amorcer une réappropriation là où s'est installée la désaffection en s'appuyant sur le meilleur des aspirations pour en faire un mouvement puissant des femmes et des hommes pour l'égale dignité autour de la promotion de biens communs.

La laïcité établit que la souveraineté réside dans le peuple en tant qu'association de femmes et d'hommes libres, égales, égaux. « Démocratie et laïcité sont identiques » proclamait Jean Jaurès en 1904 et il y a danger lorsque la règle se traduit au lieu de l'égalité des droits quelles que soient les convictions religieuse ou philosophiques, par l'inégalité avec en sus la discrimination sur la base de ces convictions. Le fondateur de L'Humanité décrivait comme fruit « d'une patiente œuvre de rassemblement et d'appaisement ». Il la décrivait comme comme « une œuvre de liberté, une œuvre de loyauté, une œuvre hardie dans son fond mais qui ne cache aucun piège, qui ne dissimule aucune arrière pensée, une œuvre de sincérité ». Puisse cet état d'esprit nous imprégner.

Quant à Aristide Briant, il affimait en conclusion du débat son souci que la réforme puisse – je cite - « affronter sans péril pour la République, les critiques de ses adversaires afin de ne pas s'affaiblir en leur prêtant le flan ». Cela lui faisait dire « Nous n'avons pas le droit de faire une réforme dont les conséquences puissent ébranler la Répubique ». Puisse cet appel nous inspirer.

 

L'intervention en vidéo